D’autres vies que les nôtres

Tandis que nous préparons notre 56e édition dans l’urgence si familière aux festivals, certaines questions semblent incontournables, à commencer par celle du sens et mérite des festivals en 2025, en Suisse et ailleurs. 

D’abord, comme l’exprime l’artiste américaine Nan Goldin, il s’agit de partager des vies dans tout leur relief, mais aussi et surtout de les parer de la beauté et de la force que l’on décèle en elles. C’est un enjeu crucial que celui du rapport filmeur·euse-filmé·e, et au-delà, celui entre elles·eux et le public. En outre, et à rebours du monde, l’efficacité souvent est récusée au profit d’une quête de profondeur, ancrée dans une durée permettant de tisser des récits complexes, ambigus et libres. Des contre-récits donc, ou récits alternatifs, ouvertement subjectifs, auxquels on ajoutera une dimension poétique et esthétique – une vision (personnelle) du réel. L’espace du festival ménage ainsi un intervalle propice aux interrogations, à l’initiative et à la résistance collectives, à la liberté de s’exprimer et aux vérités, quelles qu’elles soient. 

Nos trois invité·e·s incarnent en ce sens un large spectre de propositions. La filmographie de Raoul Peck – Invité d’honneur – s’ancre résolument dans le politique et est habitée par de grandes figures incarnant les luttes émancipatrices. Empreint d’humour noir, le cinéma de Corneliu Porumboiu – Invité spécial – se joue quant à lui de l’absurdité qui a imprégné la société roumaine, passée brutalement du joug communiste au capitalisme débridé après la chute de Nicolae Ceaușescu. Cláudia Varejão enfin (Atelier), cinéaste du sensible, a réalisé des films profondément féministes et contemporains, ayant trait à l’émancipation et à l’intimité. À leurs côtés, quelque 150 films habitent la programmation, parmi lesquels 88 premières mondiales et 58 pays représentés (un chiffre record). 

L’édition 2025 ne fera ainsi pas exception : Visions du Réel propose, grâce aux cinéastes, un temps suspendu pour tenter de rapprocher des humanités séparées à travers le cinéma. C’est le rôle même d’un festival et de la culture plus largement, qui doit d’ailleurs, hier comme aujourd’hui, être promue et défendue sans relâche, en Suisse et ailleurs, au nom justement de tout ce qu’elle contribue à bâtir, ou déconstruire.

Raymond Loretan, Président
Emilie Bujès, Directrice artistique
Mélanie Courvoisier, Directrice administrative et opérationnelle